dimanche 26 juillet 2015

RIMBAUD. Le coeur supplicié








Jacques Chirac a utilisé le terme abracadabrantesque  en 2000. L’adjectif avait été malicieusement déniché pour lui par D. De Villepin, qui rédigeait alors ses discours ou interventions. Encore aujourd’hui, peu en connaissent l’origine mais beaucoup ont retenu le mot, sans toutefois réussir à le prononcer correctement !

Mais, revenons à l'histoire de ce poème. Petit récapitulatif :




Lettre de Rimbaud à Georges Izambart.
Dans cette lettre, Rimbaud inclut le poème. Pour une meilleure lisibilité, nous donnons le poème après sa lettre alors que dans la réalité, le poème est inséré dans sa missive.

Monsieur Georges Izambart, professeur
27, rue de l'Abbaye-des-champs,
à Douai,
Nord.



Charleville, 13 mai 1871


     Cher Monsieur !


     Vous revoilà professeur. On se doit à la Société, m'avez-vous dit ; vous faites partie des corps enseignants : vous roulez dans la bonne ornière. − Moi aussi, je suis le principe : je me fais cyniquement entretenir ; je déterre d'anciens imbéciles de collège : tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en parole, je le leur livre : on me paie en bocks et en filles. − Stat mater dolorosa, dum pendet filius.  − Je me dois à la Société, c'est juste, − et j'ai raison. − Vous aussi, vous avez raison, pour aujourd'hui. Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie subjective : votre obstination à regagner le râtelier universitaire, − pardon! − le prouve ! Mais vous finirez toujours comme un satisfait qui n'a rien fait, n'ayant voulu rien faire. Sans compter que votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse. Un jour, j'espère, − bien d'autres espèrent la même chose, − je verrai dans votre principe la poésie objective, je la verrai plus sincèrement que vous ne le feriez ! − Je serai un travailleur : c'est l'idée qui me retient, quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris − où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris ! Travailler maintenant, jamais, jamais; je suis en grève.
     Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense. − Pardon du jeu de mots. −
Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait !
     Vous n'êtes pas Enseignant pour moi. Je vous donne ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez ? Est-ce de la poésie ? C'est de la fantaisie, toujours. − Mais, je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni − trop − de la pensée :




LE CŒUR SUPPLICIE

Mon triste cœur bave à la poupe…(l’entièreté du poème se trouve ci-dessous)
Ça ne veut pas rien dire. − RÉPONDEZ-MOI : chez M. Deverrière, pour A. R.
          Bonjour de cœur,
Art. Rimbaud



Et voici le poème qui est inséré dans la lettre, à l'endroit où nous l'avons signalé. 


Le Cœur supplicié.

Mon triste cœur bave à la poupe ...
Mon cœur est plein de caporal!
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe...
Sous les quolibets de la troupe
Qui lance un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal!

Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont dépravé;
À la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques;
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé!
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l'ont dépravé.

Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques!
J'aurai des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé!
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?

mai 1871






" Rimbaud, il fallait que ce soit un marcheur, même arrêté." Ernest Pignon-Ernest 



Ernest Pignon-Ernest


Note à propos de ce poème :
       Malgré son titre pathétique, ce poème narre une anecdote plutôt grotesque : Rimbaud se trouve sur un bateau et s'est placé à la poupe pour vomir, sous les moqueries de ses compagnons (strophe 1) ; mais on comprend bientôt qu'il est en train de subir une sodomisation de la part d'un groupe de soldats ityphalliques et avinés (strophe 2). Il sent son "cœur" souillé et en appelle aux flots purificateurs de la mer (strophes 3).
    
       La question finale : "comment agir ?" n'est pas facile à interpréter. On peut risquer une lecture biographique de cette phrase à la lumière de la lettre à Izambard (voir ci-dessus) où le poème trouve place. Rimbaud évoque dans cette lettre la vie dépravée et la situation précaire qui sont les siennes à Charleville en ce mois de mai 1871, sans argent, se faisant "entretenir" par des compagnons qu'il méprise (compagnons de bistrot et, peut-on supposer, de beuverie et de débauche) : l'anecdote du poème pourrait fort bien être comprise comme une représentation allégorique de cette situation vécue. Or, la lettre qui contient "Le Cœur supplicié" montre aussi les hésitations de Rimbaud. Il se sent englué dans sa vie médiocre et dégradante, et coupable de s'y complaire alors que tout (ses convictions politiques, l'idée qu'il se fait de la poésie) devrait le porter vers cette :« bataille de Paris, où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris ! » D'où, sans doute, ce cri de désarroi : "Comment agir, ô cœur volé ?"


    
       Le texte est représentatif de la poésie nouvelle que Rimbaud est en train d'élaborer en ce printemps 1871 : anti-lyrisme, polysémie du vocabulaire, multiplication des niveaux de lecture et des perspectives symboliques. La trivialité forcée du texte apparaît comme un masque, et les efforts faits par l'auteur pour se cacher derrière ce masque renforcent en nous l'intuition de sa détresse. Paradoxalement, ce poème de combat anti-lyrique est un puissant exemple de lyrisme personnel, d'un genre nouveau.


*   *   *

samedi 25 juillet 2015

Maurice CAREME. Le silence est d'or





Le silence est d'or


"Oui, le silence est d'or",
Me dit toujours maman.
Et pourquoi pas alors,
En fer ou en argent ?

Je ne sais pas en quoi
Je puis bien être faite :
Graine de cacatois,
M'appelle la préfète.

D'accord ! Je suis bavarde.
Mais est-ce une raison
Pour que l'on me brocarde
En classe, à la maison,

Et que l'on me répète
Et me répète encor
A me casser la tête
Que le silence est d'or ?

Est-ce ma faute à moi
Si j'ai là dans la gorge,
Un petit rouge-gorge
Qui gazouille de joie ?



Maurice Carême
Fleurs de soleil
© Fondation Maurice Carême
 







mardi 21 juillet 2015

Charpentreau. Le Poémier









Jacques CHARPENTREAU reprend les titres de ses poèmes préférés sur son 
arbre, le Poémier.



Jacques CHARPENTREAU
Mon premier livre de devinettes
Enfance heureuse





vendredi 17 juillet 2015

Tardieu. À deviner





À deviner




— Est-ce que c'est une chose ?

— Oui et non.

— Est-ce que c'est un être vivant ?

— Pour ainsi dire.

— Est-ce que c'est un être humain ?

— Cela en procède.

— Est-ce que cela se voit ?

— Tantôt oui, tantôt non.

— Est-ce que cela s'entend ?

— Tantôt oui, tantôt non.

— Est-ce que cela a un poids ?

— Ça peut être très lourd ou infiniment léger.

— Est-ce que c'est un récipient, un contenant ?

— C'est à la fois un contenant et un contenu.

— Est-ce que cela a une signification ?

— La plupart du temps, oui, mais cela peut aussi n'avoir aucun sens.

— C'est donc une chose bien étrange ?


— Oui, c'est la nuit en plein jour, le regard de l'aveugle, la musique des sourds, la folie du sage, l'intelligence des fous, le danger du repos, l'immobilité et le vertige, l'espace incompréhensible et le temps insoutenable, l'énigme qui se dévore elle-même, l'oiseau qui renaît de ses cendres, l'ange foudroyé, le démon sauvé, la pierre qui parle toute seule, le monument qui marche, l'éclat et l'écho qui tournent autour de la terre, le monologue de la foule, le murmure indistinct, le cri de la jouissance et celui de l'horreur, l'explosion suspendue sur nos têtes, le commencement de la fin, une éternité sans avenir, notre vie et notre déclin, notre résurrection permanente, notre torture, notre gloire, notre absence inguérissable, notre cendre jetée au vent...

— Est-ce que cela porte un nom ?

— Oui, le langage.


Jean Tardieu
Margeries
poèmes inédits 1910-1985
Gallimard, 1986, p. 297-298.






René MAGRITTE
La clé des songes, 1930   




dimanche 12 juillet 2015

What happens when a Jaguar XK120 goes Supersonic?




What happens when a Jaguar XK120 goes Supersonic?


The Jet Age was an exciting, romantic time and, naturally, car manufacturers were keen to cash in on what was a burgeoning industry, even if their wares were firmly rooted to the ground. The Jaguar XK120 Supersonic is what happens when you let an inspired designer run wild...

The lucky few

Italian designer Giovanni Savonuzzi originally styled this jet-inspired body – aptly christening it the ‘Supersonic’ – in 1953, for a Conrero-tuned Alfa Romeo 1900 in light of the Mille Miglia in which the car was set to compete. However, a nasty accident and subsequent fire during the race rendered the car a write-off, prompting a determined Savonuzzi, now employed by Carrozzeria Ghia, to build a small number of further bodies. These were primarily to be fitted on Fiat 8V  chassis, no doubt due to its relative inexpensiveness compared with other Italian sports cars of the day.
Inevitably, the ultra-streamlined body took the fancy of a handful of wealthy customers around Europe, explaining how three ended up on Jaguar XK120s (as if they weren’t pretty enough). The car shown is one of two ordered by a French businessman who, allegedly, never actually paid for the cars – the Parisian dealership through which the order was placed repossessed the pair as a result.

To the last detail

Aside from its deep metallic red paint, distinguishing this particular example from its two Anglo-Italian siblings (the body of one was sadly later transferred to a Shelby Cobra) is the cylinder head that houses three, two-barrel Webers as opposed to twin SUs, giving a substantial performance increase. Suffice to say, this Jaguar doesn’t just look fast…
Indulge in the details for a moment – that pronounced high waistline that spans the entire length of the car; the yawning front grille, neatly divided by elegant polished struts; those subtly integrated quad exhaust pipes, a masterpiece in themselves; and those small rear-lights, suspended in turbine-esque clusters. It’s dramatic – theatrical, even ­– and scarcely recognisable as the comparatively non-descript XK120 on which it is based. It’s culture and creativity personified – we absolutely adore it.

A star in the making

A star of both the Paris and Cannes motor shows in 1954, as well as a number of in-period and subsequent concours events (including last year’s Chantilly Arts and Elegance, where it was awarded a special prize),  the Supersonic will be offered by RM Sotheby’s at its Monterey sale on 13-15 August. While its pre-sale estimate has yet to be revealed, at auction back in 2007, this very car fetched 753,000 euros. With matching numbers, just 22,000km on the clock and only one other in existence, we expect the bidding to sail well past that when it crosses the block in August. 


Photos: Darin Schnabel, courtesy of RM Sotheby's © 2015 - Classic Driver ® ©

jeudi 9 juillet 2015

Oskar Gröning. -2-



Oskar Gröning. Article précédent: https://nuagesneuf.blogspot.com/b/post-preview?token=hXRtb04BAAA.B0VqZKTLOwY8irfI4wmphg.-1KiX4wThSnZLcWeBgrjPA&postId=5491610636389917855&type=POST


Trois ans et demi de prison ont été requis mardi en Allemagne contre Oskar Gröning, l'ancien comptable d'Auschwitz âgé de 94 ans, dont la « contribution mineure » à la Shoah a été mise en balance avec l'ampleur « inimaginable » de l'extermination. « Nous sommes confrontés ici à un événement qui se situe aux limites de l'imagination humaine », a insisté le procureur Jens Lehmann, résumant une audience qui a plongé le tribunal de Lunebourg (Nord) dans l'enfer concentrationnaire, 71 ans après.




Désireux de s'expliquer malgré une santé chancelante, Oskar Gröning comparaît depuis la fin avril pour « complicité » dans le massacre de 300 000 Juifs hongrois et pourrait être le dernier ancien nazi à répondre des crimes du IIIe Reich. Le procureur est resté dans le bas de la fourchette de 3 à 15 ans de prison encourus par Gröning pour son rôle supposé, au printemps 1944, dans l'envoi dans les chambres à gaz d'au moins 300 000 Juifs hongrois dès leur arrivée à Auschwitz.
« Le nombre presque inimaginable de victimes pèse en défaveur de l'accusé », a lancé Jens Lehmann, mais sa « contribution mineure » à ces meurtres de masse doit « entrer en ligne de compte » dans le choix de la sentence. Le magistrat, dont les réquisitions seront suivies des plaidoiries des parties civiles puis de la défense avant un verdict attendu courant juillet, a également souligné la volonté constante de Gröning de témoigner.

Parler dans les écoles ?

Le procès soulève depuis le départ une double difficulté : déterminer la culpabilité de l'accusé, alors que les anciens SS cantonnés à des tâches administratives ont longtemps échappé à toute poursuite, et fixer une peine adaptée. Ce dernier point divise la cinquantaine de parties civiles - survivants et proches des victimes d'Auschwitz -, en raison du grand âge de l'accusé comme de son rôle périphérique dans le fonctionnement du camp. Avant l'ouverture de l'audience, certains étaient favorables à une peine de travaux d'intérêt général consistant à témoigner dans les écoles - ce que la loi allemande ne permet pas pour de tels crimes -, tandis que d'autres prônaient la peine maximale.
Engagé dans les Waffen SS en 1941, transféré à Auschwitz en 1942, Gröning jure n'avoir « jamais donné une gifle » à quiconque. L'accusation ne lui reproche d'ailleurs aucune violence, mais le dépeint en « rouage » de l'extermination. On l'accuse d'avoir trié les devises des déportés pour les envoyer à Berlin et d'avoir assisté par trois fois à la « sélection » séparant, à l'entrée du camp, les déportés jugés aptes au travail de ceux qui étaient immédiatement tués.
En « gardant les bagages » du précédent convoi pour les soustraire aux yeux des nouveaux arrivants, le jeune sergent aurait évité un mouvement de panique et sciemment favorisé une mise à mort sans heurts, affirme le parquet.

« Faute morale »

Oskar Gröning, qui avait spontanément raconté son passé nazi dans de longues interviews bien avant d'être rattrapé par la justice, avait assumé dès le premier jour de son procès une « faute morale » et demandé pardon. Il n'a en revanche cessé d'affirmer que son rôle se limitait à « prévenir les vols » et a insisté sur ses trois demandes infructueuses de transfert au front, avant qu'il ne parvienne finalement à quitter le camp à l'automne 1944.
Son procès illustre la sévérité accrue de la justice allemande à l'égard des derniers nazis encore vivants, depuis la condamnation en 2011 de John Demjanjuk, ancien gardien de Sobibor, à cinq ans de prison. Ces procès tardifs contrastent avec le peu de condamnations, à des peines souvent faibles, prononcées pendant des décennies.
Quelque 1,1 million de personnes, dont environ un million de Juifs européens, ont péri entre 1940 et 1945 à Auschwitz-Birkenau. Le 27 janvier, les dirigeants du monde entier ont marqué avec quelque 300 derniers survivants le 70e anniversaire de la libération de ce camp par l'Armée soviétique.


source : Le point.fr du 7/7/15