mercredi 26 avril 2017

Rimbaud. Un manuscrit






Rimbaud, Proses évangéliques. A Samarie. L’air léger et charmant de la Galilée.



Ce n’est pas un faux. Il ne s’agit pas d’une nouvelle mystification comme celle de La chasse spirituelle, attribuée à Rimbaud en 1949, et dont Jean-Jacques Lefrère a retracé les péripéties dans un ouvrage récent. Il s’agit des brouillons de deux textes sans titre de Rimbaud — A Samarie et L’air léger et charmant de la Galilée — publiés pour la première fois par Henri Matarasso et Henry de Bouillane de Lacoste dans Le Mercure de France du 1er janvier 1948. Le deuxième manuscrit — Betsaïda — que vous lirez plus loin se trouve à la Bibliothèque Nationale (n.a.f. 13153). Il fut publié par Paterne Berrichon dans La Revue blanche du 1er septembre 1897 sous le titre imprudent « Page inédite d’Une Saison en enfer », puis, en 1898, à la suite des Illuminations. Les deux manuscrits sont reproduits dans le livre de Claude Jeancolas, Les manuscrits d’Arthur Rimbaud. L’intégrale (éditions textuel, juillet 2012), livre précieux pour qui est encore sensible, au temps du tout numérique, au travail de « la main à plume » ; outil indispensable pour les lecteurs à venir qui s’attacheront à étudier comment Rimbaud a écrit, raturé, corrigé, modifié ses textes au fur et à mesure que sa pensée poétique se précisait (« de la pensée accrochant la pensée et tirant ») et que les « illuminations » approchaient.
On parle ici du « travail » de la main. Pour qui n’a vu que les manuscrits des Illuminations, minutieusement recopiés (on dirait presque scolairement), le mot peut surprendre. Et puis Rimbaud n’écrivait-il pas, en 1871, à Georges Izambard, pour qui « on se doit à la Société », qui fait « partie des corps enseignants » et roule « dans la bonne ornière » : « travailler, jamais, jamais ; je suis en grève », pour aussitôt préciser : « je veux être poète, je travaille à me rendre voyant. [...] Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. » (lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871).


Rimbaud précisera, pourtant, un an plus tard, ce qu’il en est de ce « travail » : « Maintenant c’est la nuit que je travaince. De minuit à cinq du matin. » (sic, Lettre à Ernest Delahaye, Parmerde, Junphe 72, Paris, juin 1872). Commentaire de Sollers dans Studio :
«  Je "travaince" : du latin vincere, "vaincre". Veni, vidi, viciTravaincer n’est pas travailler. Ça vient tout seul, ou rien. Attention, je travaince, ce sera ma vengeance, et elle n’est pas mince. » (Gallimard, 1997, p. 76. Je souligne)
Ça vient tout seul, ou rien. Mais pas sans lutte et ratures (et « maladresse dans la lutte » écrit Rimbaud au début de Mauvais sang).
La langue française a un beau mot, aux sens multiples, pour désigner de quoi il s’agit, c’est l’épreuve. Que nous dit le dictionnaire ?
« Épreuve. n.f. Conflit éprouvant le courage ou la résistance de quelqu’un : difficulté... Chacun des travaux, exercices ou interrogations dont se compose un examen... Essai pour éprouver la qualité d’une chose...» (Petit Larousse)
Épreuve : « les souffrances sont énormes, mais il faut être fort ».
Épreuve (sans autre examinateur que le poète lui-même) : « La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. » (Lettre du Voyant, à Paul Demeny, 15 mai 1871).
Ces brouillons de Rimbaud sont des épreuves. Il n’est pas interdit d’entendre que ces épreuves sont aussi des preuves. De quoi ? D’une expérience fondamentale qui n’a plus rien à voir avec la « fadasse » « poésie subjective », ni avec les commentaires des « corps enseignants ».
Ces brouillons n’ont pas de titre. Publiés dans les deux premières éditions des oeuvres de Rimbaud dans la Pléiade (1954, 1963) sous le nom de Proses Johanniques - Ébauches, et désormais sous celui de Proses Évangéliques ou de Proses « Évangéliques », ces brouillons (ou ébauches) ont été écrits au verso de deux autres brouillons manuscrits des deux textes qui ouvrent, après Jadis...Une Saison en enfer : Mauvais sang et Fausse conversion (qui deviendra Nuit de l’enfer dans la version définitive). Au verso ou au recto ? Nul ne peut le dire aujourd’hui. On pense en général que les Proses Évangéliques ont été écrites à Roche au printemps 1873 avant que Rimbaud commençât Une Saison. Jean-Jacques Lefrère émet l’hypothèse qu’elles auraient pu être écrites dès 1872. C’est possible..., de même qu’il est possible que certaines pièces des Illuminations aient été écrites avant ou pendant Une Saison en enfer. Au-delà des raisons factuelles retenues par les commentateurs (le manque de papier), il est permis de considérer que ces brouillons constituent les côtés pile et face d’une même pièce, d’une même partition .
                                              Première communion, 1866
















Rimbaud par Picasso, 13 décembre 1960.



Lithographie, sur Arches, signée au crayon 

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©site de Philippe Sollers










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